ILE DE, (Géographie ancienne) en grec , en latin Samothraca ; île de l'Archipel, à l'embouchure de l'Hébre. La capitale de cette île portait le même nom, et est fameuse par un temple dont les mystères n'étaient pas moins respectés que ceux d'Eleusis. C'était un asîle si sacré, qu'Octave, lieutenant du conseil, n'osa en enlever Persès, comme le remarquent Tite-Live, livre XLIV. ch. xxv. et Plutarque, dans la Vie de Paul Emile.

Diodore de Sicile, l. V. c. xlvij. nous dit que l'île de Samothrace fut appelée autrefois Samos, et qu'elle ne prit le nom de Samothrace, qu'après que Samos eut été bâtie, et pour en être distinguée. Ses premiers habitants furent des Aborigènes ; et de-là vient qu'il n'est rien parvenu de certain à la postérité touchant leur religion et leurs magistrats.

Les Samothraces, continue Diodore, rapportent qu'ils ont eu chez eux une très-grande inondation, au sujet de laquelle ils firent des vœux aux dieux de la patrie ; et après avoir été sauvés du danger, ils marquèrent dans leur île différentes bornes, et y élevèrent des autels où ils faisaient encore des sacrifices du temps que Diodore écrivait.

Les dieux cabires étaient adorés dans cette ile, et ce culte tirait son origine de Phénicie. Les dieux cabires étaient ceux que les Romains appelaient divos potes, les dieux puissants. Ces dieux étaient ; Axioros, c'est-à-dire, Céres ; Axiokersa, Proserpine ; Axiokerse, Pluton ; et Casmillus, Mercure, qui était comme leur ministre. On avait une très-grande vénération pour les mystères institués en l'honneur de ces dieux ; car on était persuadé que ceux qui y étaient initiés, devenaient plus justes et plus saints ; que les dieux cabires les assistaient dans tous les périls ; et que par leur secours, ils étaient surtout préservés du naufrage. C'est pourquoi les plus grands personnages étrangers étaient fort soigneux de se faire initier dans leur culte.

L'île de Samothrace conserva sa liberté sous les Romains. Pline, après avoir dit, que de l'île de Thasos au mont Athos il y a soixante-douze mille pas, ajoute : il y en a autant à l'île de Samothrace, qui est libre devant l'Hébre, à trente-deux milles d'Imbros, à vingt-deux mille cinq cent de Lemnos, et à trente-huit milles de la côte de Thrace. Elle a trente-deux milles de tour. Elle a une montagne nommée Sarce, qui a dix mille pas d'hauteur. C'est de toutes les îles de ce canton celle qui a le moins de havres. Callimaque la nomme Dardanie, de son ancien nom. Son nom moderne est Samandrachi.

Aristarque, célèbre grammairien d'Alexandrie, était originaire de Samothrace. Il fut précepteur du fils de Ptolomée-Philométor, roi d'Egypte. Ciceron et Elien rapportent que sa critique était si fine, si sure et si judicieuse, qu'un vers ne passait pas communément pour être d'Homère, si cet habîle grammairien ne l'avait pas reconnu pour tel. Il mourut dans l'île de Cypre d'une abstinence volontaire, à l'âge de soixante-douze ans, ne pouvant plus supporter les douleurs d'une hydropisie dont il était cruellement tourmenté. On donne encore aujourd'hui le nom d'Aristarque à tous les censeurs judicieux des ouvrages d'esprit.

L'édition qu'Aristarque fit des poésies d'Homère, quoique fort estimée par le plus grand nombre, ne laissa pas que de trouver des censeurs. Suidas nous apprend que le grammairien Ptolomée-d'Ascalo publia un livre de Aristarchi correctione in Odysseâ, et que Zénodote d'Alexandrie fut mandé pour faire la révision de la critique d'Aristarque. Cependant la sagacité du grammairien de Samothrace continua de passer en proverbe.

On rapporte de lui un bon mot, qu'il ne faut pas obmettre ici : " Je ne puis pas, dit - il, écrire, ce que je voudrais, et je ne veux pas écrire ce que je pourrais ". Mais Aristarque n'est pas le premier ni le seul qui ait tenu ce discours. Nous lisons dans les recueils de Stobée, que Théocrite interrogé pourquoi il n'écrivait pas, répondit ; " parce que je ne pourrais le faire comme je voudrais, et que je ne veux pas le faire comme je pourrais ". Plutarque rapporte dans la vie d'Isocrate, que cet orateur étant à la table de Nicocréon, roi de Cypre, fut prié de discourir ; et qu'il s'en excusa en disant : " Ce que je sai n'est pas de saison ; et ce qui serait de saison, je ne le sai pas ". Combien de gens de lettres sont dans le cas d'Isocrate ! (D.J.)